Theory and History of Ontology (ontology.co)by Raul Corazzon | e-mail: rc@ontology.co

René Descartes. Bibliographie Chronologique et Annotée (Deuxième Partie: (1628-1637)

Contents of this Section

The Philosophy of René Descartes

Bibliographie

Pour la liste des éditions de références et des abréviations voir René Descartes. Outils de recherche: Biographies, Dictionnaires et Lexiques des Ses Œuvres

  1. Descartes, René. 1628 (automne) - 1629 (été). [Traité de métaphysique].

    CO, 217-227; ce traité en latin, aujourd'hui perdu, (son premier projet de métaphysique) est mentionné par Descartes dans :

    a) la lettre à Gibieuf du 18 juillet 1629: "Je me réserve à vous importuner lorsque j'aurai achevé un petit traité que je commence (5), duquel je ne vous aurais rien mandé qu'il ne fût fait, si je n'avais peur que la longueur du temps vous fît oublier la promesse que vous m'avez faite de le corriger et y ajouter la dernière main ; car je n'espère pas en venir à bout de deux ou trois ans, et peut-être après cela me résoudrai-je de le brûler, ou du moins il n'échappera pas d'entre mes mains et celles de mes amis sans être bien considéré ; car si je ne suis assez habile pour faire quelque chose de bon, je tâcherai au moins d'être assez sage pour ne pas publier mes imperfections." (AT I 17; O VIII 2, 790-791; B 17);

    (5) Les commentateurs rapprochent ce « petit traité » du « petit Traité de Métaphysique, lequel j'ai commencé étant en Frise, et dont les principaux points sont de prouver l'existence de Dieu, et celle de nos âmes, lorsqu'elles sont séparées du corps, d'où suit leur immortalité », Descartes écrit à Mersenne, 25 novembre 1630 (AT I 182, [O VIII 1, 85] B 36); voir aussi à Mersenne, 15 avril 1630 (AT I 136, [O VIII 1, 67] B 30).

    les lettres à Mersenne du:

    b) 15 avril 1630: "Pour votre question de Théologie, encore qu'elle passe la capacité de mon esprit, elle ne me semble pas toutefois hors de ma profession, parce qu'elle ne touche point à ce qui dépend de la révélation, ce que je nomme proprement Théologie; mais elle est plutôt métaphysique (*) et se doit examiner par la raison humaine. Or j'estime que tous ceux à qui Dieu a donné l'usage de cette raison, sont obligés à le connaître, et à se connaître eux-mêmes. C'est par là que j'ai tâché de commencer mes études ; et je vous dirai que je n'eusse su trouver les fondements de la physique, si je ne les eusse cherchés par cette voie. Mais c'est la matière que j'ai le plus étudiée de toutes, et en laquelle, grâce à Dieu, je me suis aucunement satisfait ; au moins pensé-je avoir trouvé comment on peut démontrer les vérités métaphysiques, d'une façon qui est plus évidente que les démonstrations de géométrie ; je dis ceci selon mon jugement, car je ne sais pas si je le pourrai persuader aux autres. Les 9 premiers mois que j'ai été en ce pays, je n'ai travaillé à autre chose, et je crois que vous m'aviez déjà ouï parler auparavant que j'avais fait dessein d'en mettre quelque chose par écrit ; mais je ne juge pas à propos de le faire, que n'aie vu premièrement comment la physique sera reçue. (**)" (AT I 143-144; O VIII 1, 72; B 30);

    (*) [Première occurrence du terme métaphysique dans les écrits de Descartes]

    (**) [Descartes se réfère ici au Monde, qui ne sera pas publié en raison de la condamnation de Galilée en 1633]

    c) 25 novembre 1630 : "J'éprouverai en la Dioptrique si je suis capable d'expliquer mes conceptions, et de persuader aux autres une vérité, après que je me la suis persuadée: ce que je ne pense nullement. Mais si je trouvais expérience que cela fût, je ne dis pas que quelque jour je n'achevasse un petit traité de métaphysique, lequel j'ai commencé étant en Frise, et dont les principaux points sont de prouver l'existence de Dieu, et celle de nos âmes, lorsqu'elles sont séparées du corps, d'où suit leur immortalité." (AT I 182; O VIII 1, 85: B 36);

    d) Mersenne, vers le 20 avril 1637: "Il y a environ huit ans que j'ai écrit en latin un commencement de Métaphysique (4) (...) et si l'on fait une version latine de ce livre (5), comme on s'y prépare, je l'y pourrai faire mettre." (AT I 350; O VIII 1, 139; B 104).

    (4) En 1629 (à Gibieuf, 18 juillet 1629, AT I 17 1. 7, [O VIII 2, 790] B 17; à Mersenne, (15 avril 1630, AT I 144 l. 19, [O VIII 1, 72] B 30).

    (5) La traduction latine du Discours et des Essais (sauf la Géométrie), œuvre d’Étienne de Courcelles, n’apparut qu’en 1644. CM suggère qu'un projet a pu se constituer dès 1637 avec le jeune Van Schooten, qui publia en 1649 une traduction latine de la Géométrie.

  2. Beeckman, Isaac. 1628-29. Extraits du Journal tenu par Isaac Beeckman.

    AT X, 331-348; treize extraits mathématiques en latin de 1628-1629; B Op. II, 1352-1379; traduction française par Frédéric de Buzon, O I, Notes de (1628-1699), 107-120.

    I. Historia Des Cartes ejusque mecum necessitudo. — Docti cur pauci 331 ; II. Algebrae Des Cartes specimen quoddam 333 ; III. Angulus refractionis à Des Cartes exploratus 335 ; IV. Chordarum musicarum crassitiei ratio 337 ; V. Solis radijs comburere remotissima 338 ; VI. Ellipsis in quâ omnes radij paralleli concurrunt in puncto medij densioris 338 ; VII. Hyperbola per quam radij in unum punctum concurrunt 340 ; VIII. Ellipsis pars per quam radij in aère exacte concurrunt 340 ; IX. Hyperbola per quam omnes radij paralleli in unum punctum exacte incidant demonstrata 341 ; X. Parabolâ duo média proportionalia inveniri posse demonstratur 342 ; XI. Parabolâ œquationes Cosicas lineis exponere 344 ; XII. Lunae an litterae inscribi possint absentibus legendae 347 ; XIII. Consonantias omnes ex continua chordae bisectione 348.

  3. Descartes, René. 1629. Anatomica quaedam ex M.to Cartesii. Problemata (Ms. de Leibniz).

    Anatomica quaedam ex M.to Cartesii AT XI, pp. 549-621; B Op. II, 1104-1197; Problemata AT XI, 621-634; B OP. II, 1197-1219.

    Première édition du texte latin avec une traduction française dans Foucher de Careil: vol. I. Observationes Meteorologicae, 72-100 (AT XI-621-634); Physiologia 100-155; Vol. II Partes similares, et excrementa, et morbi 66-85; Anatomica quaedam 86-134; Observationum anatomicarum 134-209.

    Nouvelle édition dans René Descartes, Écrits physiologiques et médicaux, Présentation, textes, traduction, notes et annexes de Vincent Aucante, Paris, Presses Universitaires de France, 2000.

    Dans cette édition la première partie, La génération des animaux, contient les fragments 1-44 de 1630-1632, 45-72 de 1637, 73-76 de 1648.

  4. ———. 1629. Remedia, et vires medicamentorum (Ms. de Leibniz).

    Première édition du texte latin avec une traduction française dans Foucher de Careil, vol. II, 210-213.

    AT XI, pp. 641-644; B Op. II, 1216-1219.

    Nouvelle édition dans René Descartes, Écrits physiologiques et médicaux, Présentation textes, traduction, notes et annexes de Vincent Aucante, Paris, Presses Universitaires de France, 2000.

    Dans cette édition la deuxième partie, Fragments de thérapeutique, contient les fragments T1-T9 de 1628 (Remèdes et forces des médicaments) et T10-T14 de 1631.

  5. ———. 1629; 1638-40. Excerpta ex mss. R. Des-Cartes (Ms de Leibniz).

    Première édition dans R. Des-Cartes Opuscula posthuma, physîca & mathematica, Amsterdam 1701, pp. 1-17 (publié à la fine du volume, avec une nouvelle numération).

    AT X, pp. 285-324; B. Op. II, 994-1051; O III, pp. 532-562.

    I. Polygonorum inscriptio 285 ; II. Horum Usus Trigonometricus 289 ; ni. Numeri Polygoni 297 ; IV. De Partibus Aliquotis Numerorum 300 ; V. Radix Cubica Binomiorum 302 ; VI. Circuli Quadratio 304 ; VII. Tangens Cycloïdis 305 ; VIII. Tangens Quadratariae per Cycloïdem 307 ; IX. Aequationum Asymmetriae Remotio 308 ; X. Ovales Opticae Quatuor 310 ; XI. Earum Descriptio et Tactio 313-324.

    "Le volume intitulé : R. Des-Cartes Opuscula posthuma, physîca & mathematica (Amstelodami, ex typographia P. & J. Blaeu, MDCCI), donne à la fin, avec une pagination spéciale (p. 1-17), une série de fragments mathématiques sous la rubrique : Excerpta ex MSS. R. Des-Cartes." (AT X, p. 279).

    Il s'agit de 12 fragments, la plupart écrits en 1638-1640; le plus étendu, sur les Ovales, a été écrit avant 1629.

  6. ———. 1629-48. Primae cogitationes circa generationem animalium. De saporibus.

    Première édition latine dans R. Des-Cartes Opuscula posthuma, physîca & mathematica, Amsterdam 1701, pp. 1-23.

    AT XI, pp. 505-538; 539-542; B Op. II, 936-983; 984-987.

    Nouvelle édition dans René Descartes, Écrits physiologiques et médicaux, Présentation, textes, traduction, notes et annexes de Vincent Aucante, Paris, Presses universitaires de France, 2000.

    Voir aussi: Annie Bitbol-Hespériès, "Sur quelques errata dans les textes biomédicaux latins de Descartes, AT XI", Bulletin cartésien XLIV 2013, Archives de Philosophie, 2015/1 Tome 78, pp. 45-55: "En préparant l’édition des textes médicaux de Descartes, à paraître dans le volume II des Œuvres complètes de Descartes chez Gallimard (coll. Tel), dirigées par Jean Marie Beyssade et Denis Kambouchner, j’ai été conduite à proposer la correction de quelques coquilles figurant dans les éditions des textes latins des Primae cogitationes circa generationem animalium et des Excerpta anatomica et reprises dans les traductions. " (p. 45).

  7. ———. 1629 (octobre) - 1633. Le Monde, ou Traité de la lumière.

    AT XI, 3-118; B OP. II, 214-359.

    Premières publications :

    1) Le Monde de Mr. Descartes ou le Traité de la Lumière, et des autres principaux objets des Sens. Avec un Discours du Mouvement local, et un autre des Fièvres composez selon les principes du même Auteur, Paris: Jacques Le Gras, 1664 (le texte est basé sur un copie de l'original, les deux Discours placés à la suite ne sont pas de Descartes).

    2) Clerselier 1677, pp. 405-511.

    Édition critique : Le Monde, l'Homme, Introduction de Annie Bitbol-Hespériès; textes établis et annotés par Annie Bitbol-Hespériès et Jean-Pierre Verdet, Paris: Seuil, 1996.

    Titres de chapitres introduits par Clerselier dans son édition du Traité du monde : I. De la différence qui est entre nos sentiments et les choses qui les produisent ; II. En quoi consiste la chaleur et la lumière du feu ; III. De la dureté et de la liquidité ; IV. Du vide, et d'où vient que nos sens n'aperçoivent pas certains corps ; V. Du nombre des éléments, et de leurs qualités ; VI. Description d'un nouveau monde, et des qualités de la matière dont il est composé ; VII. Des lois de la nature de ce nouveau monde ; VIII. De la formation du soleil et des étoiles de ce nouveau monde ; IX. De l'origine et du cours des planètes et des comètes en général, et en particulier des comètes ; X. Des planètes en général, et en particulier de la terre et de la lune ; XI. De la pesanteur ; XII. Du flux et du reflux de la mer ; XIII. De la lumière ; XIV. Des propriétés de la lumière ; XV. Que la face du ciel de ce nouveau monde doit paraître à ses habitants toute semblable à celle du nôtre ; XVI-XVII [Ces Chapitres n'ont pas été retrouvés] ; Pour le XVIII Chapitre, voir L'Homme.

    "Le plan du Monde décrit dans le Discours

    La cinquième partie du Discours est consacrée, à un résumé du Monde, à la faveur duquel Descartes brosse à larges traits les principaux chapitres et le mouvement général de ce livre où il comptait déposer ses connaissances en physique. De manière schématique, voici la table des matières reconstituée de ce Monde qui n’a jamais vu le jour, sinon plus tard dans les Principes.

    1. Description de la matière.

    2. Les lois de la nature.

    3. Description des différentes combinaisons possibles de cette matière originelle selon les lois dégagées au deuxième paragraphe, ce qui donne les différents éléments : cieux, terre, planètes, comètes, soleil, étoiles fixes, lumière, etc.

    4. Description du monde visible, en général de tous les phénomènes qui sont au-dessus de la terre (mouvements et qualités des Cieux).

    5. Description des phénomènes terrestres : pesanteur, flux et reflux des océans, origine des mers, montagnes, etc., métaux, plantes, sable, feu, verre — métamorphose apparente des éléments.

    6. Les êtres animés : les animaux, l’homme, ses fonctions, son anatomie. (*)

    7. La conclusion est centrée sur l’immortalité de l’âme humaine que Descartes établit par la différence entre l’homme et l’animal-machine.

    Ce plan est guidé par un mouvement ascendant qui, trouvant son origine dans la matière inanimée, s’achève par révocation de l’immortalité de l’âme. L’esprit reconstruit probablement l’univers, en partant de l’évidence fournie par le spectacle de la matière elle-même régie par les lois de la mécanique, et achève son chemin en affirmant sa différence, c’est-à-dire son immortalité.

    Une étroite correspondance peut être établie entre cette organisation et celle des Principes : à la deuxième partie des Principes (« Des principes des choses matérielles ») correspondent les chapitres que nous avons numérotés 1, 2 et 3; à la troisième partie (« Du monde visible ») le chapitre 4; et à la quatrième partie (« De la terre ») le chapitre 5. Les racines métaphysiques de la première partie des Principes sont dispersées dans les quatre premières parties du Discours, à condition d’en retirer la morale par provision et les textes biographiques qui expliquent leur genèse."

    * A ce moment du développement s’intercale l’explication détaillée de la circulation du sang.

    Pierre-Alan Cahné, Un autre Descartes. Le philosophe et son langage, Paris: Vrin, 1980, pp. 257-258.

    Le Monde est commencé en octobre 1629 : "Je ne laisse pas de vous en avoir très grande obligation, et encore plus de l'offre que vous me faites de faire imprimer ce petit traité que j'ai dessein d'écrire; mais je vous dirai qu'il ne sera pas prêt de plus d'un an. Car depuis le temps que je vous avais écrit il y a un mois, je n'ai rien fait du tout qu'en tracer l'argument, et au lieu d'expliquer un phénomène seulement, je me suis résolu d'expliquer tous les phénomènes de la nature, c'est-à-dire toute la physique. Et le dessein que j'ai me contente plus qu'aucun autre que j'aie jamais eu, car je pense avoir trouvé un moyen pour exposer toutes mes pensées en sorte qu'elles satisferont à quelques-uns et que les autres n'auront pas occasion d'y contredire." (lettre à Mersenne du 13 novembre 1629, AT I 70; O VIII 1, 33; B 23).

    Le 22 juillet 1633 "Mon traité (9) est presque achevé, mais il me reste encore à le corriger et à le décrire (10) ; et parce qu'il ne m'y faut plus rien chercher de nouveau, j'ai tant de peine à travailler, que si je ne vous avais promis, il y a plus de trois ans, de vous l'envoyer dans la fin de cette année (11), je ne crois pas que j'en pusse de longtemps venir à bout ; mais je veux tâcher de tenir ma promesse (12)." (lettre à Mersenne, AT I, 268; O VIII 1, 107; B 59).

    (9) Le Monde.

    (10) Comprendre : à le transcrìre (ou bien, comme le suggère AM, lire récrire ?).

    (11) Voir à Mersenne, 15 avril 1630 (AT I, 137 l. 16-17; [O VIII 1, 67] B 30) et novembre 1630 (AT I, 179 l. 12-13; [O VIII 1, 83] B 36).

    (12) Une lettre de Golius à Huygens (1er novembre 1632, Brwg, [De Briefwisselìng van Constantjin Huygens, (1608 1687), 6 voll., ‘s-Gravenhage, Martinus Nijhoff, 1911-1917] t. 1, 375) indique que Descartes en est à rédiger la philosophie de l'âme humaine, qu'il fait remonter à Dieu ; Descartes, dit-il, s'est retiré à Deventer pour rédiger en paix. Dans le Discours, celui-ci indique : « J'avais décrit, après cela, l'âme raisonnable et fait voir qu'elle ne peut aucunement être tirée de la puissance de la matière, ainsi que les autres choses, mais qu'elle doit expressément être créée », et il poursuit : « Il y a maintenant trois ans que j'étais parvenu à la fin du traité qui contient toutes ces choses » (AT VI, 59-60 [O III, 430 et 471]).

    "... je ne vous promets pas de mettre ici des démonstrations exactes de toutes les choses que je dirai, ce sera assez que je vous ouvre le chemin par lequel vous les pourrez trouver de vous-même, quand vous prendrez la peine de les chercher. (...) Et pour faire ici un tableau qui vous agrée, il est besoin que j'y emploie de l'ombre aussi bien que des couleurs claires. Si bien que je me contenterai de poursuivre la description que j'ai commencée, comme n'ayant autre dessein que de vous raconter une fable." (AT XI, 48).

    Dans le Discours de la méthode, en se référant au Monde: " ... pour ombrager un peu toutes ces choses, et pouvoir dire plus librement ce que j'en jugeais, sans être obligé de suivre ni de réfuter les opinions qui sont reçues entre les doctes, je me résolus de laisser tout ce monde ici à leurs disputes, et de parler seulement de ce qui arriverait dans un nouveau, si Dieu créait maintenant quelque part, dans les espaces imaginaires, assez de matière pour le composer, et qu'il agitât diversement et sans ordre les diverses parties de cette matière, en sorte qu'il en composât un chaos aussi confus que les poètes en puissent feindre, et que, par après, il ne fît autre chose que prêter son concours ordinaire à la nature, et la laisser agir suivant les lois qu'il a établies » (AT VI, 43).

    Dans la lettre à Mersenne du 15 avril 1630, après avoir exposé sa théorie de la création des vérités éternelles, Descartes écrit: "J'espère écrire ceci, même avant qu'il soit 15 jours, dans ma Physique;" (AT I, 146; O VIII 1, 73; B 30); on trouve un écho de ces pensées à la fine du chapitre VI et dans le chapitre VII: "Si j'y mettais la moindre chose qui fût obscure, il se pourrait faire que parmi cette obscurité il y aurait quelque répugnance (**) cachée dont je ne me serais pas aperçu, et ainsi que, sans y penser, je supposerais une chose impossible; au lieu que, pouvant distinctement imaginer tout ce que j'y mets, il est certain qu'encore qu'il n'y eût rien de tel dans l'ancien monde, Dieu le peut toutefois créer dans un nouveau, car il est certain qu'il peut créer toutes les choses que nous pouvons imaginer.

    (...)

    Et il est facile à croire que Dieu, qui comme chacun doit savoir est immuable, agit toujours de même façon. Mais, sans m'engager plus avant dans ces considérations métaphysiques, je mettrai ici deux ou trois des principales règles suivant lesquelles il faut penser que Dieu fait agir la nature de ce nouveau monde et qui suffiront, comme je crois, pour faire connaître toutes les autres." (AT XII, 36-38).

    (**) Au XVIIe siècle, répugnance signifie déjà dégoût, mais aussi contrariété, opposition et contradiction, et c'est le sens qu'il faut ici retenir. (Note de A. Bitbol-Hespériès, Le Monde, l'Homme, cit., p. 24).

    Le Chapitre VII donne la définition de Nature : "Sachez donc, premièrement, que par la Nature je n'entends point ici quelque Déesse, ou quelque autre sorte de puissance imaginaire, mais que je me sers de ce mot pour signifier la Matière même en tant que je la considère avec toutes les qualités que je lui ai attribuées comprises toutes ensemble, et sous cette condition que Dieu continue de la conserver en la même façon qu'il l'a créée. Car de cela seul qu'il continue ainsi de la conserver, il suit de nécessité qu'il doit y avoir plusieurs changements en ses parties, lesquels ne pouvant, ce me semble, être proprement attribués à l'action de Dieu, parce qu'elle ne change point, je les attribue à la Nature ; et les règles suivant lesquelles se font ces changements, je les nomme les lois de la Nature." (AT XI, 36-37).

    La "fable" du Monde.

    C'est dans la lettre à Mersenne du 25 novembre 1630 que Descartes use pour la première fois cette expression : "Et je ne pense pas après ceci me résoudre jamais plus de faire rien imprimer, au moins moi vivant : car la fable de mon Monde (10) me plaît trop pour manquer à la parachever". (AT I, 179; O VIII 1, 83; B 36).

    (10 Voir à Mersenne, 13 novembre 1629 (AT I, 70; [O VIII 1, 33] B 23).

    Au terme du chapitre V et au débout du Chapitre VI Descartes écrit : "Il me reste ici encore beaucoup d'autres choses à expliquer, et je serais même bien aise d'y ajouter quelques raisons pour rendre mes opinions plus vraisemblables. Mais afin que la longueur de ce discours vous soit moins ennuyeuse, j'en veux envelopper une partie dans l'invention d'une fable, au travers de laquelle j'espère que la vérité ne laissera de paraître suffisamment, et qu'elle ne sera pas moins agréable à voir que si je l'exposais toute nue.

    Chapitre VI

    Permettez donc pour un peu de temps à votre pensée de sortir hors de ce monde pour en venir voir un autre tout nouveau que je ferai naître en sa présence dans les espaces imaginaires (*). Les Philosophes nous disent que ces espaces sont infinis, et ils doivent bien en être crus puisque ce sont eux-mêmes qui les ont faits. Mais afin que cette infinité ne nous empêche et ne nous embarrasse point, ne tâchons pas d'aller jusqu'au bout ; entrons-y seulement si avant que nous puissions perdre de vue toutes les créatures que Dieu fit il y a cinq ou six mille ans, et après nous être arrêtés là en quelque lieu déterminé, supposons que Dieu crée de nouveau tout autour de nous tant de matière que, de quelque côté que notre imagination se puisse étendre, elle n'y aperçoive plus aucun lieu qui soit vide." (AT XI, 31-32).

    (*) ...espaces imaginaires... "dans la philosophie scolastique, où le monde est considéré comme fini, les espaces fictifs que l'imagination seule conçoit au-delà des limites du monde et de l'espace réels. Cf. Index scolastico-cartésien, pp. 96-97." (Etienne Gilson, Discours de la méthode. Texte et commentaire, Paris: Vrin, 1925, p. 383); voir aussi Francisco Suárez, Disputationes metaphysicae, XXX, 7, 28: "extra hunc autem mundum nihil est, nam spatium imaginarium non est, sed imaginatione fingitur (au-delà de ce monde, il n'y a rien; car l'espace imaginaire n'existe pas, mais est forgé par l'imagination)."; voir aussi Disputationes metaphysicae, LI, De "ubi", passim.

    "... je vous prie me mander s'il n'y a rien de déterminé en la religion, touchant l'étendue des choses créées, savoir si elle est finie ou plutôt infinie, et qu'en tous ces pays qu'on appelle les espaces imaginaires il y ait des corps créés et véritables ; car encore que je n'eusse pas envie de toucher cette question, je crois toutefois que je serai contraint de la prouver." (lettre à Mersenne du 18 décembre 1629, AT I, 86; O VIII 1, 41; B 25).

    Descartes a renoncé à la publication après la condamnation de Galilée (cfr. la lettre à Mersenne 28 novembre 1633: "Mais comme je ne voudrais pour rien au monde qu’il sortît de moi un discours, où il se trouvât le moindre mot qui fut désapprouvé de l’Eglise, aussi aimé-je mieux le supprimer, que de le faire paraître estropié. (10)" (AT I, 270-271; O VIII 1, 108; B 60).

    (10) Rapprocher du récit de la sixième partie du Discours (dont la rédaction se poursuivit jusqu'en mars 1636, AT VI, 60 l. 4-61 l. 2 [O III, 121]) Il est peu crédible de mettre en doute la sincérité de Descartes : le protestant Claude Saumaise écrivait le 7 mars 1638 à l’abbé Ismaël Bouillard à propos du Monde que si Descartes « était moins bon catholique, il nous l’aurait déjà donné, mais il craint de publier une opinion qui n'est pas approuvée à Rome » (ce qui, de surcroît, aurait été contre-productif pour l'adoption de son système en France et chez les jésuites), texte inédit cité par Henk J. M. Nellen, « Ismaël Boulliaud (1605-1694) : astronome, épistolier, nouvelliste et intermédiaire scientifique; ses rapports avec les milieux du libertinage érudit », in Études de l'Institut Pierre Bayle, Nimègue, 24, APA-Holland University Press, 1994, p. 70.

    "Pendant l'été 1634, Descartes écrit à Beeckman au sujet de la propagation de la lumière. Aucune lettre connue de Descartes ne date du début de l'année 1635. Mais le 16 avril 1635, Descartes écrit à Golius qu’il a lu à M. de Zuilichem, c’est-à-dire à Constantin Huygens qu’il vient de rencontrer, « une partie de sa Dioptrique (282) ». En mai, il réfléchit à «la cause de la lumière (283) » et évoque les couronnes et les parhélies. Puis, dans les mois qui suivent, il écrit que, « depuis la condamnation de Galilée », il a « entièrement séparé de son Monde le traité sur “les lunettes” », et qu’il l'a « revu et entièrement achevé ». Il se « propose de le faire imprimer seul dans peu de temps ». Il ajoute également qu’il « juge maintenant hors de saison» de « faire voir son Monde avec le mouvement défendu » (284).

    Ces indications sont très précieuses parce qu’elles montrent d’une part que Descartes abandonne l’idée de publier Le Monde, et d’autre part qu’il se consacre maintenant à La Dioptrique, en vue de sa publication. De sorte que la composition de La Dioptrique a alors évolué, et qu’elle s’est notamment augmentée d’un approfondissement des réflexions inaugurales du Monde sur la lumière, mais plus encore des analyses du chapitre XVIII du Monde consacré à L’Homme. En effet, les références directes à La Dioptrique figurant dans Le Monde incluant L’Homme permettent de voir quel en était le noyau initial. Ainsi, Le Monde renvoie directement à La Dioptrique pour l’explication de la réflexion et de la réfraction (285), qui se trouve au discours second de l’Essai de 1637. L’Homme se réfère explicitement à La Dioptrique au sujet de la taille des verres (objet de la réflexion de Descartes depuis 1629), parce que la figure du cristallin ressemble à celle d’un verre hyperbolique (286), dont les particularités sont exposées au discours huitième de l’Essai de 1637.

    L’Homme cite à nouveau La Dioptrique en ce qui concerne le mécanisme de la vision (287), exposé dans les discours troisième et sixième de l’Essai de 1637."

    (282) AT 1, 314. [O VIII 1; 647; B 71]

    (283) AT I, 318. [O VIII 1; 648; B 74]

    (284) AT I, 322. [O VIII 1; 121; B 75] Lettre datée de l’automne 1635 dans AT et de juin ou juillet 1635 dans Alquié, et probablement adressée à Mersenne.

    (285) AT XI, 9, 102, 106, 116.

    (286) AT XI, 153, 156.

    (287) AT XI, 187.

    Introduction de Annie Bitbol-Hespériès à R. Descartes, Le Monde, l'Homme, Paris: Seuil, 1996, pp. XXXV.

    "Pour les lunettes, je vous dirai que depuis la condamnation de Galilée (4), j'ai revu et entièrement achevé le Traité que j'en avais autrefois commencé (5) ; et l'ayant entièrement séparé de mon Monde, je me propose de le faire imprimer seul dans peu de temps (6). Toutefois parce qu'il s'écoulera peut-être encore plus d'un an, avant qu'on le puisse voir imprimé, si M. N. (7) y désirait travailler avant ce temps-là, je le tiendrais à faveur, et je m'offre de faire transcrire tout ce que j'ai mis touchant la pratique, et de lui envoyer quand il lui plaira." (lettre à Mersenne (?) mars 1635 ?, AT I, 322; O VIII 1, 121; B 75)

    (4) Descartes est souvent revenu dans ses lettres à Mersenne sur la condamnation de Galilée (1633) : fin novembre 1633 (AT I, 270-273, [O VIII 1, 107-109;] B 60); février 1634 (AT I, 281-282, [O VIII, 1; 109-110] B63); 15 mai 1634 (AT I, 298-299, [O VIII 1, 114-118] B 66).

    (5) La rédaction de la Dioptrique, dont Descartes a souvent entretenu Mersenne (25 novembre 1630, AT I 182 1. 13 sq., [O VIII 1, 82-85] B36; juin 1632, AT I, 254 l. 3 sq., [O VIII 1, 102-104] B 55).

    (6) En effet, Descartes écrit à Golius le 16 avril 1635 : « Monsieur de Zuyleichem [Huygens], que j'ai eu l'honneur de voir ces jours à Amsterdam, après avoir eu la patience d'ouïr lire une partie de ma Dioptrique... » et envoie à Huygens une copie du texte le 25 avril 1635 (AT I, 585-586; [O VIII 2, 13-14] B 72).

    (7) Cl-Inst : de Beaune (suivi par AT ? et AM ?); CM V 125 n. 5 suggère Mydorge, « plutôt que Ferrier, à qui Descartes avait déjà donné ses instructions depuis longtemps ».

  8. ———. 1629 (octobre) - 1633. L'Homme.

    AT XI, 119-215; B Op. II, 362-507. Ce traité est le XVIIIe Chapitre du Monde.

    Premières publications :

    1) Traduction latine de Florent Schuyl : Renatus Des Cartes De Homine, figuris et latinitate donatus a Florentio Schuyl, Leyden: P. Leffen & F. Moyardum. 1662.

    2) Édition du texte original : Clerselier 1677, pp. 1-98.

    Édition critique : Le Monde, l'Homme, Introduction de Annie Bitbol-Hespériès; textes établis et annotés par Annie Bitbol-Hespériès et Jean-Pierre Verdet, Paris: Seuil, 1996.

    Dans une lettre à Mersenne du 18 décembre 1629 Descartes écrit : "je veux commencer à étudier l'anatomie. (44)" (AT I, 102; O VIII 1, 49; B 25).

    (44) Première mention des études d'anatomie de Descartes : on retrouve ce souci dans à Mersenne, 15 avril 1630 (AT I, 137 l. 5-6 [O VIII 1, 68; B 30]), 20 février 1639 (AT II, 525 l. 14-18 [O VIII 1, 326; B 204]) et 13 novembre 1639 (AT II, 621 l. 3-15 [O VIII 1, 351; B 224]); Descartes en parle aussi au médecin Plempius le 15 février 1638 (AT I, 523, l. 1-3 [O VIII 1, 407; B 146]) ; voir aussi le Traité de l'Homme (AT XI 120 l. 25-121 l. 9) et le Discours (AT VI, 47 l. 1-8 [O III, 112]).

    "Le plan suivi dans le Traité de l’Homme.

    Ce traité, qui est une description systématique de la machine qu’est le corps, est très construit, de manière concertée et révélatrice d’une hiérarchie et du constant souci de totalité de Descartes. Car, encore que toute cette machine soit régie, en toutes ses fonctions, par les mêmes principes issus de la mécanique la plus élémentaire, Descartes ne laisse pas de suivre un ordre qui reproduit, dans le microcosme du corps, la structure générale de l’exposé qu’il utilise pour décrire le macrocosme du monde.

    Mais d’abord, les données : le plan du Traité de l’Homme est le suivant.

    En un premier temps, c’est le cours du sang qui guide le développement, depuis son origine jusqu’à sa métamorphose en une autre substance :

    — la digestion des viandes, le circuit des aliments, le foie, le sang ;

    — la respiration ;

    — la circulation du sang ;

    — la croissance ;

    — la raréfaction du sang, origine des esprits animaux.

    La deuxième partie du développement suit maintenant le cours des esprits animaux, ce qui conduit Descartes à décrire les systèmes nerveux, moteur et sensible :

    — le système nerveux, moteur, les nerfs-tuyaux et les muscles ;

    — le système nerveux sensible, les nerfs-filets ;

    — le mécanisme des sentiments intérieurs (faim, soif, etc.) ;

    — les esprits animaux et les passions.

    Enfin, une dernière parties2 est centrée sur les fonctions du cerveau:

    — les fonctions de la veille (imagination, mémoire, etc.) ;

    — les fonctions du sommeil (les songes).

    La conclusion insiste sur l’identité entre cette machine créée par la nature et celle issue de l’industrie humaine (horloge)."

    Pierre-Alan Cahné, Un autre Descartes. Le philosophe et son langage, Paris: Vrin, 1980, pp. 259.

    "Les notes de cette édition du traité de L’Homme montrent les points de rencontre nombreux entre le chapitre XVIII du Monde et La Dioptrique. La convergence de ces textes ne doit d’ailleurs aucunement surprendre, puisque, nous l’avons vu, ils ont été élaborés dans les mêmes années. Mais, à plusieurs reprises, des phrases identiques se retrouvent d’un texte à l’autre, ce qui laisse penser qu’après la condamnation de Galilée Descartes a inséré dans La Dioptrique plusieurs passages du traité de L’Homme consacrés à l’explication du sens de la vue. Ce qui est intéressant à remarquer, c’est que l’esprit qui anime Descartes n’a pas changé entre le début de la rédaction de L’Homme et de La Dioptrique, et le remaniement du texte de La Dioptrique à partir de 1635, en vue de sa publication." Introduction de Annie Bitbol-Hespériès à René Descartes, Le Monde, l'Homme, Paris: Seuil, 1996, pp. XXXV-XXXVI.

    Voir aussi: Sylvain Matton, "Un témoignage oublié sur le manuscrit du Traité de l'homme de Descartes", Bulletin cartésien XXXVI, Archives de philosophie, 68, 2005, p. 7-8 et Franco A. Meschini, "Filologia e scienza. Note per un’edizione critica de L’Homme di Descartes", in F. A. Meschini (éd.), Le opere dei filosofi e degli scienziati. Filosofia e scienza tra testo, libro e biblioteche, Firenze, Olschki, 2011, p. 165-204.

  9. ———. 1630. [La théorie de la création des vérités éternelles].

    La théorie de la création des vérités éternelles comme fondement métaphysique de la physique.

    Cette théorie est formulée pour la première fois dans une lettre à Mersenne : le débat commence le 15 avril 1630, en posant comme thème, en réponse à des lettres perdues de Mersenne, “les vérités mathématiques que vous appelez éternelles”. La même année, le philosophe en discute aussi bien avec lui dans deux autres lettres, qu'avec Beeckman dans une lettre du 17 octobre de la même année. Le débat se prolonge jusqu'en 1649 : il est présent dans la correspondance avec Arnauld, dans la lettre à Mersenne du 27 mai 1638 et, surtout, dans celle à Mesland du 2 juin 1644. On peut considérer que le débat se termine le 5 février 1649 avec la discussion entamée avec More sur les vérités contradictoires. Dans les œuvres imprimées, la théorie ne sera publiée que dans les Responsiones (AT VII, 380 et 435-436). Vagues allusions dans le Discours de la méthode, V (AT VI 41 ll. 12-13 [O III, 108]) et dans les Principia philosophiae (I, §§ 22 et 24; AT VIII-1, 13-14).

  10. ———. 1630-31 (?). La recherche de la vérité par la lumière naturelle.

    AT X, 495-527; B Op. II, 826-871; CO 249-341; dialogue (incomplet) écrit en français, dont l'original est perdu.

    Les sources existant sont :

    1) une copie (partielle) en français, conservée à Hanovre (H) faite par Ehrenfried Walther von Tschirnhaus (1651 - 1708) sur le manuscrit en possession de Clerselier, datée 16 novembre 1676 et envoyée à Leibniz en février 1677 (AT X pp. 495-514).

    2) la traduction néerlandaise complète (N): Amsterdam 1684.

    3) la traduction latine complète (A): Inquisitio veritatis per lumen naturale, in Opuscola posthuma, physica et mathematica, Amsterdam 1701, pp. 67-90 (AT X, 514-527).

    CO donne le texte française pour la partie existante, la traduction latine et le texte néerlandaise avec la première traduction française de cette version (par Corinna Vermeulen).

    Édition critique : René Descartes, La Recherche de la vérité par la lumière naturelle, sous la direction de Ettore Lojacono, textes établis par Erik Jan Bos, lemmatisation et concordances du texte français par Franco A. Meschini, index et concordances du texte latin et néerlandais par Francesco Saita, Milano: Franco Angeli, 2002, avec un essai de Ettore Lojacono. Pour une interprétation et une datation de La Recherche de la vérité par la lumière naturelle de René Descartes, (pp. VII-XL) et une note "La présente édition", par Erik-Jan Bos (pp. XLI-LXV).

    Ettore Lojacono donne un bilan complet des débats consacrés à la datation du texte (pp. 161-201).

    Traductions :

    La recherche de la vérité par la lumière naturelle, Introduction, Appendices, Notice biographique et bibliographique par Ettore Lojacono, Introduction et commentaire historique et conceptuel, textes revus par Massimilano Savini, Paris: Presses universitaires de France, 2009.

    La recherche de la vérité par la lumière naturelle, traduction et notes par Emmanuel Faye, Paris: Librairie Générale Française, (Le Livre de Poche), 2010.

    "La première édition de la Recherche de la vérité fut publiée à Amsterdam, en 1684, dans une traduction néerlandaise. Sous le titre de Onderzoek der waarheit door 't naturelijk licht (N) le texte fut ajouté, avec une traduction des Regulae, à l'édition néerlandaise du vol. III de la Correspondance de Descartes, telle qu'elle avait été publiée par Clerselier. Enfin, dans le même volume on trouve une traduction du Traité de la lumière ou Le Monde. Le traducteur de la Correspondance et du Monde était J. H. Glazemaker. L'identité du ou des traducteurs de la Recherche et des Regulae est inconnue. Rieuwertsz avait commencé l'impression de la correspondance en l'automne de 1682. Elle était achevée au printemps de 1684." (La Recherche de la vérité par la lumière naturelle, "La présente édition", p. LIV).

    "La version latine de la Recherche, Inquisitio veritatis per lumen naturale (A), due à un traducteur inconnu, fut publiée en 1701 dans le recueil des Opuscula posthuma, qui constituent le vol. IX (le dernier) des Opera omnia de Descartes, commencés en 1692 par une « Société de libraires ». Dans cette édition, A couvre 23 pages, la première de 28 lignes la dernière de 27, les autres de 38. Au sein des Opuscula posthuma A forme une unité typographique propre, avec sa propre pagination et sa propre page de titre : Regulae ad directionem ingenii, ut et Inquisitio veritatis per lumen naturale : Regulae, pp. 1-66; Inquisitio veritatis, pp. 67-90). Dans la Préface on ne trouve aucune indication sur la provenance des copies. En fait, l'éditeur anonyme s'est acquitté de sa tâche en donnant simplement quelques citations de Baillet." (La Recherche de la vérité par la lumière naturelle, "La présente édition", p. LVI).

    "Dans la présente édition on trouve le texte intégral des trois sources, H, N et A. Le texte de H, comme source principale du texte français, a été imprimé avant les autres. Il a été établi sur la base d'un collationnement du texte imprimé dans G. W. Leibniz, Sämtliche Schriften und Briefe, Zweiter Band : 1676-1679, Berlin, 1987 avec des photocopies de H. Enfin, on a collationné ce texte avec l'original de Hanovre. Dans l'édition de H pour une certaine mesure (voir § 3.1) le texte a été normalisé et en plusieurs passages on a préféré la leçon de N et A à celle de H (voir § 3.2). Pour N et A les textes de base ont été les exemplaires de la Bibliothèque universitaire d'Utrecht, collationnés avec quatre autres exemplaires (voir §§ 2.2 et 2.3). Pour l'édition de N et de A nous avons suivi les critères présentés ci-dessous. Pour faciliter une étude comparative de ces textes ils sont imprimés l'un en regard de l'autre." (La Recherche de la vérité par la lumière naturelle, "La présente édition", p. LIX).

    Voir aussi: Siegrid Agostini, "2002-1013 : une décennie d'édition de La Recherche de la vérité par la lumière naturelle", Bulletin cartésien XLIII, Archives de philosophie, 77, 2014, p. 163-170.

  11. ———. 1637. Discours de la méthode. Pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences. Plus la Dioptrique. Les Météores. Et la Géométrie. Qui sont des essais de cette Méthode. Leyde: Imprimerie Ian Maire.

    AT VI, 1-515; B Op. I, 24-653; O III, 81-508.

    Avertissement V; Frontispice des Essais XIII; Discours de la méthode 1; La Dioptrique 79; Les Météores 229; La Géométrie 367; Avertissement 486; Tables des principales difficultés qui sont expliquées dans La Dioptrique 487; Tables des principales difficultés qui sont expliquées aux Météores 498; Table des matières de la Géométrie 511; Privilège 515.

    Première édition anonyme : 8 juin 1637 (réimpression anastatique Lecce: Conte Editore, 1987).

    Discours de la méthode : AT VI, 1-78.

    Date de composition : hiver 1635-36 - printemps 1637 (sur la chronologie de l'œuvre voir les études de Gilbert Gadoffre, Láscaris Comneno, Elie Denissoff et Edwin Curley, dans ma bibliographie sur les sources de la pensée de Descartes).

    Après avoir renoncé à publier Le monde, Descartes entreprend en 1635 un nouveau projet, qui sera terminé en mars 1637 et aboutira dans la publication du Discours : "Pour le traité de physique dont vous me faites la faveur de me demander la publication (5), je n'aurais pas été si imprudent que d'en parler en la façon que j'ai fait, si je n'avais envie de le mettre au jour, en cas que le monde le désire, et que j'y trouve mon compte et mes sûretés. Mais je veux bien vous dire, que tout le dessein de ce que je fais imprimer à cette fois, n'est que de lui préparer le chemin, et sonder le gué. Je propose à cet effet une méthode générale (6), laquelle véritablement je n'enseigne pas, mais je tâche d'en donner des preuves par les trois traités suivants (7), que je joins au discours où j'en parle, ayant pour le premier un sujet mêlé de philosophie et de mathématique (8), pour le second, un tout pur de philosophie (9); et pour le 3e, un tout pur de mathématique (10), dans lesquels je puis dire que je ne me suis abstenu de parler d'aucune chose, (au moins de celles qui peuvent être connues par la force du raisonnement), parce que j'ai cru ne la pas savoir; en sorte qu'il me semble par là donner occasion de juger que j'use d'une méthode par laquelle je pourrais expliquer aussi bien toute autre matière, en cas que j'eusse les expériences qui y seraient nécessaires, et le temps pour les considérer. Outre que pour montrer que cette méthode s'étend à tout, j'ai inséré brièvement quelque chose de métaphysique, de physique et de médecine dans le premier discours (11). Que si je puis faire avoir au monde cette opinion de ma méthode, je croirai alors n'avoir plus tant de sujet de craindre que les principes de ma physique soient mal reçus; et si je ne rencontrais que des juges aussi favorables que vous, je ne le craindrais pas dès maintenant." (lettre à [Germain Habert, abbé de Cérisy], [avril ?] 1637, AT I 370-371; O VIII 2, 833; B109).

    (6) Seule occurrence du syntagme « méthode générale » dans le corpus cartésien.

    (7) Les trois Essais (Dioptrique, Météores, Géométrie).

    (8) La Dioptrique.

    (9) Les Météores (rappelons que « philosophie » signifie « philosophie naturelle », c'est-à-dire ce que nous appelons la « physique »).

    (10) La Géométrie.

    (11) Dans les 4e et 5e parties du Discours (AT VI, 31-60 [O III, 102-121]).

    En 1636 Descartes, qui se trouve à Leyde, confie l'impression du livre à Mersenne : "Il y a environ cinq semaines que j'ai reçu vos dernières du dix-huit janvier, et je n'avais reçu les précédentes que quatre ou cinq jours auparavant. Ce qui m'a fait différer de vous faire réponse, a été que j'espérais de vous mander bientôt que j'étais occupé à faire imprimer. Car je suis venu à ce dessein en cette ville (2); mais les [Elzevier (3)] qui témoignaient auparavant avoir fort envie d'être mes libraires, s'imaginant, je crois, que je ne leur échapperais pas lorsqu'ils m'ont vu ici, ont eu envie de se faire prier, ce qui est cause que j'ai résolu de me passer d'eux (4); et quoique je puisse trouver ici assez d'autres libraires, toutefois je ne résoudrai rien avec aucun, que je n'aie reçu de vos nouvelles, pourvu que je ne tarde point trop à en recevoir. Et si vous jugez que mes écrits puissent être imprimés à Paris plus commodément qu'ici, et qu'il vous plût d'en prendre le soin, comme vous m'avez obligé autrefois de m'offrir (5), je vous les pourrais envoyer incontinent après la vôtre reçue. (...) Et afin que vous sachiez ce que j'ai envie de faire imprimer, il y aura quatre Traités tous français, et le titre en général sera: Le Projet d'une Science universelle qui puisse élever notre nature à son plus haut degré de perfection. Plus la Dioptrique, les Météores, et la Géométrie ; où les plus curieuses Matières que l'Auteur ait pu choisir, pour rendre preuve de la Science universelle qu'il propose, sont expliquées en telle sorte, que ceux mêmes qui n'ont point étudié les peuvent entendre. En ce Projet je découvre une partie de ma Méthode, je tâche à démontrer l'existence de Dieu et de l'âme séparée du corps, et j'y ajoute plusieurs autres choses qui ne seront pas, je crois, désagréables au lecteur." (lettre à Mersenne du mars 1636 AT I, 338-339; O VIII 1, 135; B 83).

    Le 1 avril 1636 Descartes donne à lire son manuscrit à Constantin Huygens : "Je ne manquerai de me trouver demain à votre logis incontinent après votre dîner, puisqu'il vous plaît me faire la faveur de me le permettre (2); et je porterai avec moi tous ceux de mes papiers qui seront assez au net pour les pouvoir lire, afin que vous en puissiez choisir ceux dont la lecture vous sera le moins ennuyeuse, et que j'aie le bonheur de savoir au vrai le jugement que vous en ferez." (lettre à Huygens du 31 mars 1636 AT I, 605; O VIII 2, 21; B 86).

    Dans le contrat d'édition avec l'imprimeur Jean Maire (Leyde, 2 décembre 1636) le titre change : "le dit DES CARTES mettra entre les mains du dit LE MAIRE toute la copie d'un livre intitulé: La méthode etc. plus la Dioptrique, les Météores et la Géométrie" (le contrat est publié dans Gustave Cohen, Écrivains français en Hollande dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris: Champion, 1920, pp. 503-504).

    L'expression "Discours de la méthode" fait sa parution dans deux lettres à Huygens et à Mersenne:

    Lettre à C. Huygens du 25 février 1637: "Monsieur Golius m'avertit dernièrement de votre part que vous jugiez le mot de "discours" superflu en mon titre, et c'est l'un des sujets de remerciement que j'ai à vous faire. Mais je m'excuse sur ce que je n'ai pas eu dessein d'expliquer toute la méthode mais seulement d'en dire quelque chose, et que je n'aime pas à promettre plus que je ne donne, c'est pourquoi j'ai mis « Discours de la Méthode »; au lieu que j'ai mis simplement «la Dioptrique» et «les Météores», parce que j'ai tâché d'y comprendre tout ce qui faisait (6) à mon sujet. Que si cette raison ne vous contente et que vous m'obligiez de m'en faire savoir votre jugement, je le suivrai comme une loi inviolable. Il me semble aussi que je dois ôter toute la glose que j'avais mise à la fin (7) et laisser seulement ces mots « Discours de la Méthode etc. plus la Dioptrique, les Météores et la Géométrie qui sont des essais de cette méthode »." (AT I, 620-621; O VIII 2, 26; B 104).

    (6) « Faire à » : convenir.

    (7) Descartes avait proposé à Mersenne en mars 1636 le titre [déjà cité : Le Projet d'une Science universelle, etc.]

    Lettre à Mersenne du 20 avril 1637: "Mais je n'ai su bien entendre ce que vous objectez touchant le titre; car je ne mets pas Traité de la Méthode, mais Discours de la Méthode, ce qui est le même que Préface ou Avis touchant la Méthode, pour montrer que je n'ai pas dessein de l'enseigner, mais seulement d'en parler. Car comme on peut voir de ce que j'en dis, elle consiste plus en pratique qu'en théorie, et je nomme les traités suivants des Essais de cette Méthode, parce que je prétends que les choses qu'ils contiennent n'ont pu être trouvées sans elle, et qu'on peut connaître par eux ce qu'elle vaut : comme aussi j'ai inséré quelque chose de métaphysique, de physique, et de médecine dans le premier discours, pour montrer qu'elle s'étend à toutes sortes de matières." (AT I, 349; O VIII 1, 139; B 83).

    Le titre définitif ressemble à une œuvre de Jacopo Aconcio (1492 - 1567), De Methodo, hoc est de recta investigandarum tradendarumque artium ac scientiarum ratione, Basilée 1558, réimprimé en 1617 à Leyde par le même éditeur du Discours, mais une influence directe n'est pas démontrée.

    Dans cette œuvre Descartes réutilise des écrits précédents :

    La Première partie du Discours (AT VI, 1-11 [O III, 81-87]) reprend le projet d'une Histoire de mon esprit dont parle Guez de Balzac dans la lettre à Descartes du 30 mars 1628: "Au reste, Monsieur, souvenez-vous, s'il vous plaît, de l'Histoire de Votre Esprit. Elle est attendue de tous nos amis, et vous me l'avez promise en présence du Père Clitophon, qu'on appelle en langue vulgaire Monsieur de Gersan. Il y aura plaisir à lire vos diverses aventures dans la moyenne et dans la plus haute région de l'air ; à considérer vos prouesses contre les Géants de l'École, le chemin que vous avez tenu, le progrès que vous avez fait dans la vérité des choses, etc." (AT I 570; B 15).

    La Deuxième partie (AT VI, 11-22 [O III, 88-95]) est une adaptation et une rectification des certain thèmes des Règles pour la direction de l'esprit: "Pendant les dix années qui s'écoulèrent entre les deux , Descartes a très sensiblement modifié ses vues méthodologiques: les Regulae proposaient une mathématique universelle qui assimilait à des segments de droite — soit à une dimension spatiale — tout ce qui est susceptible de mesure, alors que la Géométrie achemine le lecteur vers une notion de mathématiques pures, vers une « géométrie qui est avant tout une algèbre ». Un pas décisif a été franchi, et Léon Brunschvicg (*) montre sans peine que le deuxième chapitre du Discours s'en trouve par là même éclairé : certains développements sont si étroitement liés qu'ils ne s'expliquent que l'un par l'autre. De même que la sixième partie est une introduction à la Dioptrique et aux Météores, la deuxième est une introduction à la Géométrie." (Gilbert Gadoffre, La chronologie des six parties, in : Nicolas Grimaldi et Jean-Luc Marion (éds.), Le Discours et sa méthode, Paris: Presses universitaires de France, 1987, p. 21.)

    (*) Léon Brunschvicg, Mathématiques et métaphysique chez Descartes, Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1937, [pp. 277-324; repris dans: L. Brunschvicg, Écrits philosophiques, tome I, Paris, Presses Universitaires de France, 1951, pp. 11-54].

    La Troisième partie (AT VI 22-31 [O III, 96-101]) contient la morale provisoire; sur les raison de cette inclusion, voir la lettre à Henricus Reneri pour Alphonse de Pollot d'avril ou mai 1638 : "Au reste j'ai été obligé de parler de cette résolution et fermeté touchant les actions, tant à cause qu'elle est nécessaire pour le repos de la conscience, que pour empêcher qu'on ne me blâmât de ce que j'avais écrit que, pour éviter la prévention, il faut une fois en sa vie se défaire de toutes les opinions qu'on a reçues auparavant en sa créance : car apparemment on m'eût objecté que ce doute si universel peut produire une grande irrésolution et un grand dérèglement dans les mœurs. De façon qu'il ne me semble pas avoir pu user de plus de circonspection que j'ai fait, pour placer la résolution, en tant qu'elle est une vertu, entre les deux vices qui lui sont contraires, à savoir l'indétermination et l'obstination.

    Il ne me semble point que ce soit une fiction, mais une vérité, qui ne doit point être niée de personne, qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées ; au moins en prenant le mot de pensée comme je fais, pour toutes les opérations de l'âme, en sorte que non seulement les méditations et les volontés, mais même les fonctions de voir, d'ouïr, de se déterminer à un mouvement plutôt qu'à un autre etc., en tant qu'elles dépendent d'elle, sont des pensées. Et il n'y a rien du tout que les choses qui sont comprises sous ce mot, qu'on attribue proprement à l'homme en langue de philosophe : car pour les fonctions qui appartiennent au corps seul, on dit qu'elles se font dans l'homme, et non par l'homme." (AT II, 35-36; O VIII 2, 542; B 164).

    Voir aussi l'Entretien avec Burman :

    "III. Texte 64. AT VI 22, l. 29 [O III, 96] une moral par provision, qui ne consistait qu'en trois ou quatre maximes, DONT JE VEUX BIEN VOUS FAIRE PART (que je veux bien AJOUTER À MON ÉCRIT).

    L'auteur n'écrit pas volontiers touchant la morale (6), mais les Régents et autres pédants l'on contraint d'ajouter à son écrit ces règles parce que, autrement, ils prétendraient qu'il n'a ni religion ni foi, et que, par le biais de sa méthode, il veut les renverser (7)." (Burman 144; AT V, 178).

    La Quatrième partie (AT VI, 31-40 [O III, ]102-108) est dédiée à la métaphysique et utilise le Petit traité de métaphysique (perdu) de 1629 : "Descartes présente lui-même la Quatrième Partie du Discours comme un abrégé par rapport à ce manuscrit latin qui, au contraire, semble être une sorte de première rédaction par rapport aux Méditations ou du moins par rapport à celles qui ouvrent l'ouvrage». Ainsi il y avait dans la pensée de Descartes plus que dans son texte lorsqu'il écrivait la Quatrième Partie du Discours. Quant à savoir quel est ce « plus », des hypothèses différentes sont permises : ce qui est certain, c'est que, en ce qui concerne l'épreuve critique du commencement, l'évolution de la pensée n'est pas seule en cause." (Henri Gouhier, La pensée métaphysique de Descartes, Paris: Vrin, 1962, p. 67).

    Cette partie a été ajouté au moment de l'impression : "Il est vrai que j'ai été trop obscur en ce que j'ai écrit de l'existence de Dieu dans ce traité de la Méthode, et bien que ce soit la pièce la plus importante, j'avoue que c'est la moins élaborée de tout l'ouvrage ; ce qui vient en partie de ce que je ne me suis résolu de l'y joindre que sur la fin, et lorsque le libraire me pressait. Mais la principale cause de son obscurité vient de ce que je n'ai osé m'étendre sur les raisons des sceptiques, ni dire toutes les choses qui sont nécessaires ad abducendam mentem a sensibus: car il n'est pas possible de bien connaître la certitude et l'évidence des raisons qui prouvent l'existence de Dieu selon ma façon, qu'en se souvenant distinctement de celles qui nous font remarquer de l'incertitude en toutes les connaissances que nous avons des choses matérielles; et ces pensées ne m'ont pas semblé être propres à mettre dans un livre, où j'ai voulu que les femmes mêmes pussent entendre quelque chose, et cependant que les plus subtils trouvassent aussi assez de matière pour occuper leur attention. J'avoue aussi que cette obscurité vient en partie, comme vous avez fort bien remarqué, de ce que j'ai supposé que certaines notions, que l'habitude de penser m'a rendu familières et évidentes, le devaient être aussi à un chacun; comme par exemple, que nos idées ne pouvant recevoir leurs formes ni leur être que de quelques objets extérieurs, ou de nous-mêmes, ne peuvent représenter aucune réalité ou perfection, qui ne soit en ces objets, ou bien en nous, et semblables; sur quoi je me suis proposé de donner quelque éclaircissement dans une seconde impression. (8)" (lettre à Antoine Vatier du 22 février 1638, AT I, 560; O VIII 1, 574-575; B 149).

    (8) C'est dans les Méditationes (1641) que Descartes pourra préciser sa définition des idées.

    Descartes était bien conscient des limites de sa première publication sur la métaphysique: "Pour votre seconde objection, à savoir que je n'ai pas expliqué assez au long, d'où je connais que l'âme est une substance distincte du corps, et dont la nature n'est que de penser, qui est la seule chose qui rend obscure la démonstration touchant l'existence de Dieu (3), j'avoue que ce que vous en écrivez est très vrai, et aussi que cela rend ma démonstration touchant l'existence de Dieu malaisée à entendre. Mais je ne pouvais mieux traiter cette matière, qu'en expliquant amplement la fausseté ou l'incertitude qui se trouve en tous les jugements qui dépendent du sens ou de l'imagination, afin de montrer ensuite quels sont ceux qui ne dépendent que de l'entendement pur, et combien ils sont évidents et certains. Ce que j'ai omis tout à dessein, et par considération, et principalement à cause que j'ai écrit en langue vulgaire, de peur que les esprits faibles venant à embrasser d'abord avidement les doutes et scrupules qu'il m'eût fallu proposer ne pussent après comprendre en même façon les raisons par lesquelles j'eusse tâché de les ôter, et ainsi que je les eusse engagés dans un mauvais pas, sans peut-être les en tirer. Mais il y a environ huit ans que j'ai écrit en latin un commencement de Métaphysique (4), où cela est déduit assez au long, et si l'on fait une version latine de ce livre, comme on s'y prépare, (5) je l'y pourrai faire mettre. Cependant je me persuade que ceux qui prendront bien garde à mes raisons touchant l'existence de Dieu, les trouveront d'autant plus démonstratives, qu'ils mettront plus de peine à en chercher les défauts, et je les prétends plus claires en elles-mêmes qu'aucune des démonstrations des géomètres en sorte qu'elles ne me semblent obscures qu'au regard de ceux qui ne savent pas abducere mentem a sensibus, suivant ce que j'ai écrit en la page 38 (6).". (lettre à Mersenne du 20 avril 1637, AT I, 349-350; O VIII 1, 139; B 104).

    (4) En 1629 (à Gibieuf, 18 juillet 1629, AT I, 17 l. 7, B17; à Mersenne, 15 avril 1630, AT I, 144 l. 19, B30).

    (5) La traduction latine du Discours et des Essais (sauf la Géométrie), œuvre d'Étienne de Courcelles, n’apparut qu’en 1644. CM suggère qu’un projet a pu se constituer dès 1637 avec le jeune Van Schooten, qui publia en 1649 une traduction latine de la Géométrie.

    (6) AT VI, 37 [O III, 105] (« qu’ils n’élèvent jamais leur esprit au-delà des choses sensibles »). Voir les objections soulevées par Petit (lettre des 17-27 mai 1638, AT II, 144, l. 13-21; [O VIII 1, 187] B 167).

    La Cinquième partie (AT VI 40-60 [O III, 108-121])est un résumé du Monde et de ses études de physiologie, "particulièrement l'explication du mouvement du cœur" (AT VI, 1 [O III, 81]) commencés en 1629 ("je veux commencer à étudier l'anatomie", lettre à Mersenne du 18 décembre 1629, AT I, 102), après la découverte par William Harvey de la circulation du sang (Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis in animalibus, Francfurt 1628), cfr. la référence au "médecin d'Angleterre" (AT VI, 51 [O III, 115]).

    "La première mention d'un «médecin», dans la correspondance de Descartes, figure dans la lettre au Père Mersenne du 8 octobre 1629, [AT I, 25; O VIII 1, 30; B 19] où Descartes écrit: «Pour la raréfaction, je suis d'accord avec ce médecin (27), et (28) ai maintenant pris parti touchant tous les fondements de la Philosophie ; mais peut-être que je n'explique pas l'œther comme lui. (29)»".

    (27) Selon AT (I 30n), il s'agirait du médecin Christophe Villiers (1596-1661/70); mais CM (II 302 n. 2) propose Sébastien Basson, qui introduisit dans une physique corpusculaire l'hypothèse de l'éther pour expliquer les phénomènes de raréfaction et, de façon plus générale, le vide (Philosophiae naturalis adversus Aristotelem librì XII, Genève, 1621). Il fut lu par Beeckman (au printemps 1623, Beeckman II 243), et par Merline (Quaestiones in Genesim, 1623, col. 1838 ; Impiété des déistes, 1624, I, p. 238) ; Descartes le cite (parmi les novatores, entre Giordano Bruno (Giulio Cesare Vanini) dans une lettre à Beeckman (lettre du 17 octobre 10, AT I, 158, B 34). Dans les Regulae (AT X, 424 1. 13), Descartes envisage au-delà de l'air un éther très pur sur le modèle de Basson. Descartes nie le vide dans le Monde (il y travaille à partir de la fin de 1629) et dans ses lettres de février-avril 1630. C'est probablement de lui que Descartes écrit à Huygens : « Il n’est vaillant qu'à détruire les opinions d'Aristote » 8 mars 1636, AT I, 603; [O VIII 2, 20] B 84).

    (28) Clerselier Lettres : « ai pris parti là-dessus, comme sur presque tous les fondements de la Physique ».

    (29) Clerselier Lettres : « Lorsque j'aurai l'honneur de vous voir, nous aurons moyen de nous en entretenir plus particulièrement », add.

    La Sixième partie (AT VI 40-78 [O III, 121-133]) a été rédigée dans les derniers mois du 1635, comme préface de la Dioptrique et des Météores.

    "Or comme ce n'est pas des racines, ni du tronc des arbres, qu'on cueille les fruits, mais seulement des extrémités de leurs branches, ainsi la principale utilité de la Philosophie dépend de celles de ses parties qu'on ne peut apprendre que les dernières. Mais, bien que je les ignore presque toutes, le zèle que j'ai toujours eu pour tâcher de rendre service au public est cause que je fis imprimer, il y a dix ou douze ans, quelques essais des choses qu'il me semblait avoir apprises. La première partie de ces essais fut un Discours touchant la Méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, où je mis sommairement les principales règles de la Logique et d'une Morale imparfaite, qu'on peut suivre par provision pendant qu'on n'en sait point encore de meilleure. Les autres parties furent trois traités : l'un de la Dioptrique, l'autre des Météores, et le dernier de la Géométrie." Lettre-Préface aux Principes de philosophie (AT IX-2, 15).

  12. ———. 1637. La Dioptrique.

    AT VI, 81-226; B Op. I, 118-311; O III, 148-262.

    La Dioptrique est le premier essai composé par Descartes : les premières notes sur l'optique et la réfraction sont dans les Cogitationes privatae de 1619-20 (AT X, 242-247); en 1632 Descartes écrit à Golius "je fis tailler un verre, il y a cinq ans" lettre du 2 février 1632 (AT I, 239, note; O VIII 1, 1023, n. 36; B 50) ; la composition de la Dioptrique pourrait donc être initiée en 1628. (Sur les relations de La Dioptrique avec Le Monde et L'Homme voir les notes à ces textes).

    Dans le XVII siècle avec le terme Dioptrique était utilisé pour la théorie de la réfraction: "La troisième [partie de l'Optique] enseigne comment nous voyons par rayons qui sont rompus, comme quand nous regardons un bâton qui est partie dans l'eau, partie dans l'air et se nomme Dioptrique, ou Mesoptrique, parce qu'elle considère la façon par laquelle les rayons passent par les milieux divers, comme quand il traversent l'air, l'eau, et le verre en même instant: on pourrait ainsi nommer cette partie Anaclastique, ou Diaclastique. L'art de la peinture dépend de ces 3 parties." Marin Mersenne, La Vérité des sciences contre les Septiques [sic] ou Pyrrhoniens, Paris: 1625, pp. 229-230 (édition moderne: La Vérité des sciences contre les Sceptiques ou Pyrrhoniens. Édition et annotation par Dominique Descotes, Paris: Champion, 2003.

    Descartes la cite dans une lettre à Mersenne du 25 novembre 1630: "J'y veux insérer un discours où je tâcherai d'expliquer la nature des couleurs et de la lumière, lequel m'a arrêté depuis six mois, et n'est pas encore à moitié fait ; mais aussi sera-t-il plus long que je ne pensais, et contiendra quasi une physique tout entière (8) ; en sorte que je prétends qu'elle me servira pour me dégager de la promesse que je vous ai faite, d'avoir achevé mon Monde dans trois ans (9), car c'en sera quasi un abrégé. Et je ne pense pas après ceci a me résoudre jamais plus de faire rien imprimer, au moins moi vivant : car la fable de mon Monde (10) me plaît trop pour manquer à la parachever, si Dieu me laisse vivre assez longtemps pour cela; mais je ne veux point répondre de l'avenir. Je crois que je vous enverrai ce Discours de la lumière, sitôt qu'il sera fait, et avant que de vous envoyer le reste de la Dioptrique" (AT I, 179; O VIII 1, 83; B 36).

    (8) Voir à Mersenne, 13 novembre 1629 (AT I, 70 l. 6-11, B 23) et 18 décembre 1629 (AT I, 85 l. 6-86 l. 1; [O VIII 1, 33] B 25).

    (9) Voir à Mersenne, 15 avril 1630 (AT I 137 l. 15-17; [O VIII 1, 68] B 30).

    (10) Voir à Mersenne, 13 novembre 1629 (AT I 70; [O VIII 1, 33] B 23).

    "En fait, il semble que Descartes, loin d'avoir envoyé ce Discours de la lumière « avant le reste de la Dioptrique », en ait ajourné la mise au point ; car au cours de l'année 1632, il qualifie à deux reprises de « première partie » ce qui, dans la rédaction définitive, constitue le Discours second, consacré à la réfraction (15). Par contre, ce Discours de la lumière, qui devait être un abrégé du Monde, prend de telles proportions qu'il devient bientôt un Traité de la Lumière appelé à couvrir tout le champ de la Physique (16).

    Dernière remarque enfin : le Monde est « presqu'achevé » en juillet 1633 (17), la Dioptrique « entièrement », dans le courant de 1635 (18), les Météores, repris en main une fois la Dioptrique terminée, en 1636 (19). Ces détails chronologiques un peu vétilleux, pour ne pas dire fastidieux, permettent d'affirmer qu'entre 1629 et 1636, Descartes a mené de front les trois traités, quitte à interrompre l'un pour se consacrer à tel autre (20)." (pp. 290-291), Simone Martinet, "Rôle du problème de la lumière dans la construction de la science cartésienne", XVIIe siècle, n° 136, 1982, pp. 285-309.

    (15) Voir [à Golius], [janvier 1632], I, p. 235 [O VIII 1, 644-645; B 49], et à Mersenne, [juin 1632], I, p. 255 [O VIII 1, 102-103; B 55].

    (16) Voir à Mersenne, 23 décembre 1630 : « Je vous dirai que je suis maintenant après à démêler le chaos pour en faire sortir de la lumière, qui est l'une des plus hautes et plus difficiles matières que je puisse jamais entreprendre, car toute la physique y est presque comprise (5)», I, p. 194 [O VIII 1, 88; B 40].

    (5) Descartes est en train de rédiger son Monde, ou Traité de la lumière : Il insiste sur son importance à plusieurs reprises (à Mersenne, 13 novembre 1629, AT I, 70 l. 6-11, [O VIII 1, 33] B 23; 25 novembre 1630, AT I, 179 l. 10, [O VIII 1, 83] B 36, et au P. Vatier, 22 février 1638, AT I 562 l. 10 sq., [O VIII 1, 576] B 149).

    (17) À Mersenne, 22 juillet 1633, AT I, p. 268 [O VIII 1, 107] B 59].

    (18) Voir à Mersenne, date difficile à préciser [mars 1635 ?], AT I, p. 322 [O VIII 1, 121; B 75], et à Huygens, 1 novembre 1635, AT I, p. 591 [O VIII 2, 14; B 77].

    (19) Voir à Huygens, 1 novembre 1635, AT I, p. 591 [O VIII 2, 14; B 77], et Météores, Disc. VI, p. 298, qui relate une observation personnelle « faite l'hiver passé 1635 ».

    (20) De telle sorte qu'il n'est pas étonnant qu'il soit fait référence à la Dioptrique, dans le Monde, achevé pourtant antérieurement (cf. Traité de la Lumière ou Monde, ch. II, p. 9, ch. XIV, p. 102, ch. XV, p. 106) et dans les Météores, commencés, sinon terminés plus tôt (Météores, Disc. I, p. 233 et p. 234 ; Disc. V, p. 279; Disc. VIII, p. 331 et p. 337). Et que, inversement, Descartes se retranche volontiers derrière le « Traité qui contient tout le corps de [sa] Physique », soit pour justifier le statut des « suppositions « qui sont avancées au début de chacun des Essais (cf. Discours de la méthode, VI partie, p. 76), soit pour répondre à des questions ou à des objections qui lui sont adressées après la publication des Essais, cf. [à Vatier], [22 février 1638], AT I, p. 562 [O VIII 1, 575; B 149] ; à Ciermans, [23 mars 1638], AT II, p. 71 et p. 74 [B 159] ; à Morin, [13 juillet 1638], AT II, p. 201 [O VIII 2, 466-467; B 172] ; à Mersenne, 9 janv. 1639 et 19 juin 1639, AT II, p. 483 [O VIII 1, 310-311; B 200] et p. 564 O VIII 1, 336-337; B 216].

    En janvier 1632 la première partie (Discours I et II) est terminée : "Au reste pour ce que vous me mandez, et que M. H[ortensius] (4) me témoigne que vous désirez voir de ma Dioptrique, je vous en envoi la première partie (5), ou j'ai tâché d'expliquer la matière des réfractions, sans toucher au reste de la philosophie." (lettre à Golius du janvier 1632, AT I 235; O VIII 1, 644-645; B 49).

    (4) Clerselier-Lettres: "H." ; AT complète par le nome de Martin Van de Hove (Hortensius, 1605-1639), mathématicien et astronome.

    (5) Dioptrique I et II (AT VI 81-105 [O III, 148-262])

    Dans l'automne 1635 Descartes écrit : "Pour les lunettes, je vous dirai que depuis la condamnation de Galilée (4), j'ai revu et entièrement achevé le Traité que j'en avais autrefois commencé (5) ; et l'avant entièrement séparé de mon Monde, je me propose de le faire imprimer seul dans peu de temps (6)." (lettre à X (Mersenne?), AT I 322 [O VIII 1, 121; B 75).

    (4) Descartes est souvent revenu dans ses lettres à Mersenne sur la condamnation de Galilée (1633) : fin novembre 1633 (AT I 270-273, [O VIII 1, 107-109] B 60); février 1634 (AT I 281-282, [O VIII 1, 109-110] B 63); 15 mai 1634 (AT I 298-299, [O VIII 1, 117-118] B 66).

    (5) La rédaction de la Dioptrique, dont Descartes a souvent entretenu Mersenne (25 novembre 1630, AT I 182 l. 13 sq., [O VIII 1, 85] B 36; juin 1632, AT I 254 l. 3 sq., [O VIII 1, 102] B 55).

    (6) En effet, Descartes écrit à Golius le 16 avril 1635 [AT I 314-316; O VIII 1, 647-648; B 71] : « Monsieur de Zuylichem (4), que j'ai eu l'honneur de voir ces jours à Amsterdam (5), après avoir eu la patience d'ouïr lire une partie de ma Dioptrique... » et envoie à Huygens une copie du texte le 25 avril 1635 (AT I 585-586, [O VIII 2, 13-14] B 72).

    (4) Descartes venait de rencontrer Constantin Huygens (Monsieur de Zuylichem) à Amsterdam, du 29 mars au 6 avril 1635 (Dagboek [Dagboek Van Constantijn Huygens, éd. J. H. W. Hunger, Bijlage Van Oud-Holland, IIIe année, viii-88-14-viii pages, Amsterdam 1885], p. 26).

    (5) Voir à Wilhem, 23 mai 1632 (AT I, 253-254, [O VIII 2, 1] B 54), et à Huygens, 11 décembre 1635 (AT I, 597-601, [O VIII 2, 17-19] B 80).

    Le texte est terminé en 1635 : lettre à Golius du 16 avril 1635, AT I 314-316; O VIII 1, 647-648; B 71.

    "En la Dioptrique, la matière des réfractions et l'invention des lunettes, j'y parle aussi fort particulièrement de l'Œil, de la Lumière, de la Vision, et de tout ce qui appartient à la Catoptrique et à l'Optique." (lettre à Mersenne du mars 1636 AT I, 338-340; O VIII 1, 134-136; B 83).

    "Par la Dioptrique, j'eus dessein de faire voir qu'on pouvait aller assez avant en la Philosophie, pour arriver par son moyen jusques à la connaissance des arts qui sont utiles à la vie, à cause que l'invention des lunettes d'approche, que j'y expliquais, est l'une des plus difficiles qui aient jamais été cherchées. Par les Météores, je désirai qu'on reconnût la différence qui est entre la Philosophie que je cultive et celle qu'on enseigne dans les écoles où l'on a coutume de traiter de la même matière." Lettre-Préface aux Principes de philosophie (AT IX-2, 15).

  13. ———. 1637. Les Météores.

    AT VI, 231-376; B Op. I, 314-487; O III, 284-390.

    L'origine des Météores est le phénomène des parhélies (faux soleils) observé a à Frascati le 20 mars 1629 par le Jésuite Christoph Scheiner (1573-1650).

    "Le 20 de mars on avait vu dans cette ville cinq soleils en même temps, c'est-à-dire quatre parhélies ou faux soleils autour du Soleil. Le P. Scheiner jésuite allemand, qui était pour lors à Rome, en avait fait l'observation avec quelques autres mathématiciens du lieu ; et le cardinal Barberin qui était toujours fort zélé pour l'avancement des sciences en avait envoyé une description à M. de Peiresc conseiller au parlement de Provence, avec la figure du phénomène. Monsieur Peiresc en avait fait faire plusieurs copies, pour communiquer la chose à tous les savants de sa connaissance, et pour les exciter à donner leurs réflexions sur le phénomène." (Baillet I, 188).

    "C'est à cette observation des parhélies, que le public est redevable en partie du beau traité des Météores que M. Descartes lui donna quelques années après. Il interrompit ses Méditations métaphysiques, pour examiner par ordre tous les météores ; et il travailla plusieurs jours sur cette matière, avant que d'y trouver de quoi se satisfaire. " (Baillet I, 191).

    Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (1580-1637), ayant reçu la relation directement de C. Scheiner en donna des copies à Pierre Gassendi.

    Ayant reçu une copie de Gassendi, Henri Reneri la publia avec le titre Phaenomenon rarum et illustre Romae observatum 20 Martij Anno 1629, (Amsterdam 1629) et en envoya une copie manuscrite à Descartes en juillet 1629 : "Car je n'ai point l'esprit assez fort, pour l'employer en même temps à plusieurs choses différentes, et comme je ne trouve jamais rien que par une longue traînée de diverses considérations, il faut que je me donne tout à une matière, lorsque j'en veux examiner quelque partie. Ce que j'ai éprouvé depuis peu, en cherchant (4) la cause de ce phénomène duquel vous m'écrivez (5) ; car il y a plus de deux mois (6) qu'un de mes amis (7) m'en a fait voir ici une description assez ample, et m'en ayant demandé mon avis, il m'a fallu interrompre ce que j'avais en main (8), pour examiner par ordre tous les Météores, auparavant que je m'y sois pu satisfaire. Mais je pense maintenant en pouvoir rendre quelque raison, et suis résolu d'en faire un petit traité (9) qui contiendra la raison (10) des couleurs de l'arc-en-ciel (11), lesquelles m'ont donné plus de peine que tout le reste, et généralement tous les phénomènes sublunaires." (lettre à Mersenne du 8 octobre 1629, AT I, 22-23; O VIII 1, 29-30; B19).

    (4) Clerselier-lettres : "pour trouver".

    (5) Le jésuite romain Scheiner avait observé quatre parhélies (faux soleils) à Frascati le 20 mars 1629. Ces observations ont été connue de toute l'Europe savante par le relais de Peiresc, à qui le cardinal Barberini avait fait parvenir une copie. Gassend, informé par les frères Dupuy, s'employa à les expliquer, en particulier auprès de Peiresc, et au cours de son voyage en Flandres et aux Pays-Bas (été 1629), de Beeckman et de Reneri. La « description assez ample » dont parle Descartes peut être son explication Phaenomenon rarum et illustre Romæ observatum, dont le texte imprimé semble n'avoir été diffusé qu'en novembre-décembre 1629, mais qui fut remis par Gassend à Reneri le 14 juillet (voir lettre de Gassend à Peiresc, 21 juillet 1629, CM II 244 et 247n).

    (6) Clerselier-lettres : « trois mois ».

    (7) Henri Reneri, en juillet 1629. Il s'inscrit comme étudiant à Leyde le 13 octobre 1629.

    (8) Le « petit traité de métaphysique », « commencé en Frise », dont Descartes parle à plusieurs reprises (à Mersenne, 15 avril 1630; AT I 136, [O VIII 1, 67] B 30; 25 novembre 1630, AT I 182, [O VIII 1, 85] B 36; vers le 20 avril 1637 AT I 350, [O VIII 1, 139] B 104; à Gibieuf, 18 juillet 1629, AT I 17, [O VIII 2, 790] B 17) est soit une première version des Meditationes, soit un « traité sur la divinité » (Baillet I, 170-171 et 190).

    (9) Le huitième discours des Météores (qui paraîtra dans les Essais de 1637) ; le dixième discours porte sur les parhélies.

    (10) Clerselier-lettres : « l'explication ».

    (11) Descartes avait pu voir en Italie les arcs-en-ciel artificiels des fontaines de Tivoli.

    Descartes retourne sur le sujet dans une lettre à Mersenne du 13 novembre 1629 : "Je suis bien marri de la peine que je vous ai donnée de m'envoyer ce phénomène (2), car il est tout semblable à celui que j'avais vu. Je ne laisse pas de vous en avoir très grande obligation, et encore plus de l'offre que vous me faites de faire imprimer ce petit traité que j'ai dessein d'écrire ; mais je vous dirai qu'il ne sera prêt de plus d'un an. Car depuis le temps que je vous avais écrit il y a un mois, je n'ai rien fait du tout qu'en tracer l'argument, et au lieu d'expliquer un phénomène seulement, je me suis résolu d'expliquer tous les phénomènes de la nature c'est-à-dire toute la physique. Et le dessein que j'ai me contente plus qu'aucun autre que j'aie jamais eu, car je pense avoir trouvé un moyen pour exposer toutes mes pensées en sorte qu'elles satisferont à quelques-uns et que les autres n'auront pas occasion d'y contredire." (AT I 70; O VIII 1, 32-33; B 23).

    (2) Sur les parhélies, comme sur le « petit traité », voir la lettre 4 (AT I, 23; [O VIII 1, 29] B 19.

    Lettre à Constantin Huygens du 1 novembre 1635 : "J'ai dessein d'ajouter les Météores à la Dioptrique, et j'y ai travaillé assez diligemment les deux ou trois premiers mois de cet été (4), à cause que j'y trouvais plusieurs difficultés que je n'avais encore jamais examinées, et que je démêlais avec plaisir. Mais il faut que je vous fasse des plaintes de mon humeur : sitôt que je n'ai plus espéré d'y rien apprendre, ne restant plus qu'à les mettre au net, il m'a été impossible d'en prendre la peine, non plus que de faire une préface que j'y veux joindre (5); ce qui sera cause que j'attendrai encore deux ou trois mois avant que de parler au libraire." (AT I, 592; O VIII 2, 15; B 77).

    (4) Dès février 1635, il avait noté des observations sur la chute de la neige (voir F. C. Frank, « Descartes' Observations on the Amsterdam Snowfalls of 4, 5, 6 and 9 February 1635 », Journal of Glaciology, 13, 1974, p. 535-539).

    (5) [Première allusion au Discours de la méthode :] Le livre envisagé devait réunir la Dioptrìque, les Météores et une préface (qui deviendra le Discours de la méthode). Descartes annoncera l’addition de la Géométrie dans la lettre à Mersenne de mars 1636 (AT I, 339 l. 16, [O VIII 1, 135; B 83) et racontera au P. Deriennes : « [...] c'est un traité que je n'ai quasi composé que pendant qu’on imprimait mes Météores, et même j'en ai inventé une partie pendant ce temps-là » (AT I, 457-458, à Deriennes 22 février 1638, [O VIII 2, 578-579] B 147).

    "Au reste, si M. Gassendi a quelques autres remarques touchant la neige, que ce que j'ai vu dans Kepler, et remarqué encore cet hiver, de Nive sexangula et grandine acuminata (7), je serai bien aise de l'apprendre ; car je veux expliquer les météores le plus exactement que je pourrai (8)." (lettre à Mersenne, 4 mars 1630, AT I, 127 O VIII 1, 62; B 28).

    (7) Kepler a publié en 1611 le traité De nive sexangula et grandine acuminata.

    (8) Descartes a dû connaître (par Mersenne) l'observation de Gssend; (à la fin de son Examen du 4 février 1629 : voir Gassend 4 février 1629 (CM II 196-199).

    Dans une lettre à Chanut du 6 mars 1646, Descartes écrit : "Une seule observation que je fis de la neige hexagone, en l'année 1635, a été cause du traité que j'en fait (5)." (AT IV, 377; O VIII 2, 668; B 545).

    (5) Dans les Météores VI (AT VI 298 1. 8 sq. [O III, 329]); (observation du 5 février 1635 (voir AT XI, 623-624 et 626-627) ; voir à Mersenne, 4 mars 1630 (AT I, 127, [O VIII 1, 62] B 28) et 30 août 1640 (AT III 166, [O VIII 1, 404] B 269 : longue note dans E. Lojacono (éd.), Opere scientifiche di René Descartes, t. 2, Turin, Classici UTET, 1983, p. 434.

    Voir AT XI, p. 635 : "Par un vent du nord, avec neige et verglas la veille. Les grains de neige étaient de cette grosseur, ils ressemblaient à l'humeur cristalline de l'œil, étaient transparents, et j'en ai remarqué un ou deux qui avaient autour d'eux six rayons très-courts, tirant sur le blanc pâle, et surpassant la glace. Ce même jour, 5 février [1635], j'ai noté une grande diversité d'étoiles de neige. D'abord quelques lames solides taillées en hexagone, d'une parfaite transparence, polies et minces, de grandeurs égales." (texte en latin; traduction de Foucher de Careil, p. 81).

    "Aux Météores, je m'arrête principalement sur la nature du Sel, les causes des Vents et du Tonnerre, les figures de la Neige, les couleurs de l'Arc-en-Ciel, où je tâche aussi à démontrer généralement quelle est la nature de chaque Couleur, et les Couronnes, ou Halones, et les Soleils, ou Parhelia, semblables à ceux qui parurent à Rome il y a six ou sept ans." (lettre à Mersenne, mars 1636, AT I 340; O VIII 1, 135; B 83).

    "Par les Météores, je désirai qu'on reconnût la différence qui est entre la Philosophie que je cultive et celle qu'on enseigne dans les écoles où l'on a coutume de traiter de la même matière." Lettre-Préface aux Principes de philosophie (AT IX-2, 15).